Sunday, 9 November 2014

Etre à la hauteur de l‘exigence morale du Socialisme


Le socialisme est un engagement moral fondant une éthique d’action

Etre socialiste, c’est vouloir, sur la base d’un engagement moral pour la Justice, habité d’une éthique de l’action, donner un sens raisonnable au Monde, permettre à la vie de s’épanouir dans la Liberté, parce que la société, solidaire, protège et encourage.

C’est cela, l’ambition et l’identité socialiste. C’est cela, qui devrai guider nos actions. C’est cela qu’il nous faut retrouver, en acceptant aussi la critique sans complaisance de notre action actuelle, de notre raisonnement, de notre Raison.

Léon Blum l’expliquait il y a presqu’un siècle, avec des mots qui n’ont rien perdu de leur actualité : « Le socialisme est donc une morale et presque une religion, autant qu'une doctrine. Il est, je le répète, l'application exacte à l'état présent de la société de ces sentiments généraux et universels sur lesquels les morales et les religions se sont successivement fondées. Sa doctrine est économique plutôt que politique. Pourquoi ? Parce que l'analyse de l'histoire - analyse que chacun de nous peut vérifier et confirmer par son expérience quotidienne - établit précisément que les faits économiques, c'est-à-dire les formes de la propriété, les phénomènes de production, d'échange et de distribution de denrées, dominent de plus en plus l'évolution des sociétés modernes, gouvernent de plus en plus leurs institutions et leurs rapports politiques. »

Gouverner, c’est choisir entre Morale et Tyrannie des Faits

Gouverner, c’est conduire une série de décisions sur des bases rationnelles, où la tyrannie ontologique, comme dirait Quiniou, le « faitalisme », d’après Nietzsche, réduit l’action politique sur un plan technico-économique, dirait Ricoeur, qui ajouterait,  en ne satisfaisant qu’aux exigences du rationnel, cette rationalité ne peut satisfaire l’homme moderne qui reste là, assoiffé d’un sens raisonnable. Habermas le formule ainsi : « Contre une réduction de type empiriste de la problématique rationnelle, seule sauve l’endurance à prendre les sentiers où la science, la morale et l’art communiquent encore ensemble. » Ou dit autrement : avoir raison d’après les experts techniques ne donne aucunement un sens commun, un espoir et une vision. Avoir raison avec les experts, c’est accepter un état de fait, et ne pas vouloir le transformer. C’est aussi inscrire son action dans l’horizon du visible, et non dans celui du possible.

Cela n’est pas très grave lorsqu’on est de droite : gouverner, c’est protéger des clientèles et des habitus, sociaux et moraux. Les faits bien souvent viennent à l’appui d’un appareil d’Etat qui ne demande qu’à servir les conservatismes, ou pour reprendre Ricoeur, à donner avantages et privilèges à la classe dominante du moment.

C’est beaucoup plus délicat de gouverner lorsque son engagement politique s’inscrit dans la tradition et la philosophie morale du socialisme. Car, fondamentalement, le socialisme reste une subversion, qui, parce qu’elle est morale, aura à créer de nouveaux faits, qui aura à s’imposer à la tyrannie ontologique pour créer un espace démocratique, qui devra aussi affronter des rapports de force objectifs, la solidarité universelle nécessitant forcément de ceux qui ne le sont pas, et ne le souhaitent pas, de le devenir pour le bien de tous, et in-fine, d’eux-mêmes.

Gouverner en étant socialiste, c’est donc se confronter à un rationnel qui souvent prends, avec une avalanche de faits, les apparences de la vérité scientifique, et qui, sapant la volonté jour après jour, heure après heure, tends – encore une fois pour paraphraser Habermas – à évacuer la question practico-morale « Que dois-je faire » de la réflexion, pour y substituer le point de vue d’une rationalité technocratique, qui réponds « il faut faire ce que de toute façon, tous faits bien soupesés, il faudra faire ».

Gouverner en étant socialiste nécessite donc une éthique de l’action, qui inspire, donne des forces, soit à la fois un socle solide, et une plate-forme pour prendre son élan.

Gouverner en étant socialiste, c’est aussi, forcément, par la force des faits et des choses, gouverner collectivement. Car comment résister à cette critique permanente de la Morale par une Raison impérieuse, technique, qui cherche la conservation des faits connus, si l’on est seul ?

Kant l’a exprimé sans doute le premier avec limpidité : la Morale est un Universalisme, c’est-à-dire que ne peut être une loi morale qu’une loi universelle. C’est pourquoi la première loi morale du socialisme, c’est le respect universel de la personne humaine. Une autre Loi morale, qui en découle, c’est donc l’Egalité dans la Fraternité, et une troisième, qui elle aussi est enfantée par les deux autres, la Liberté. Le triomphe de la Raison au Siécle des Lumiéres est un triomphe moral, qui enfanta la déclaration universelle des Droits de l’Homme, texte moral au plus haut point.

Pourtant, la rationalité technocratique ne cesse de critiquer cette morale en imposant le particulier, en séquençant et spécialisant le monde moderne, pour y créer des univers factuels en apparence séparés les uns des autres. Il y aurait dans cette rationalité des « personnes morales », les entreprises, ce qui en soi est au mieux une ironie, au pire un sarcasme. Il y aurait des « chômeurs », des « clandestins », des « salariés » et des « privilégiés », il y aurait « la Jeunesse » et « les Cassseurs », les « entrepreneurs » et les « syndicalistes », les « conservatismes » et les « reformismes ».

D’une maniére moins polémiste, et afin de préciser absolument cette critique de la Morale par la Rationalité, il y a des faits qui servent à décrire le monde et à orienter les questions, et les réponses, pour une action politique. Il y aura donc :

- la Dette Publique, qui en soi est la réponse à un excédent d’épargne, la dette devant bien être contractée par quelqu’un prêtant.

- la Monnaie, certes, mais on lui préfère l’Inflation, qui mesure à quel vitesse cette monnaie permet d’échanger biens et services.

- le taux de chômage, qui est surtout la privation des moyens d’existence par l’absence de rémunération.

- le niveau de prélèvement obligatoire, qui en réalité est redistribué, par exemple sous forme d’une allocation chômage à celui qui ne peut être employé, et qui est donc aussi un niveau indicatif de la redistribution des richesses dans une société solidaire.

- les déficits publiques, qui ont une définition extensible, et recouvrent aussi des salaires, des emplois, des biens et des services achetés et délivrés. Les Déficits publiques sont toujours le résultat d’arbitrages politiques entre recettes et dépenses, en pariant sur des évolutions économiques futures largement déterminées ailleurs que dans le champ politique.

Transformer le réel, et non en épouser les contours

Notre pratique de gouvernement depuis Mai 2012 est controversée au sein même du Parti Socialiste.

Certains y voient « la seule voie », d’autres une social-démocratie moderne enfin assumée face à des thèses jugées passéistes.  On sent déjà, à lire la défense même de la politique que nous menons, que nous ne sommes plus dans la philosophie morale du socialisme, mais bien dans l’obéissance à la tyrannie des faits, ou à la négation même de l’origine universelle du socialisme.

Comment le socialisme peut-il être passéiste, lorsque, toujours pour citer Léon Blum, « Le socialisme est né de la conscience de l'égalité humaine, alors que la société où nous vivons est tout entière fondée sur le privilège. Il est né de la compassion et de la colère que suscitent en tout cœur honnête ces spectacles intolérables : la misère, le chômage, le froid, la faim, alors que la terre, comme l'a dit un poète, produit assez de pain pour nourrir tous les enfants des hommes, alors que la subsistance et le bien-être de chaque créature vivante devraient être assurés par son travail, alors que la vie de chaque homme devrait être garantie par tous les autres. Il est né du contraste, à la fois scandaleux et désolant, entre le faste des uns et le dénuement des autres, entre le labeur accablant et la paresse insolente. »

D’autres voient dans notre politique une trahison, qui commença dès Mai 2012, en ne menant pas le premier rapport de force politique nécessaire, celui qui aurait dû mener à la renégociation du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). Elle se poursuivit en ne mettant pas en acte le projet de Réforme Fiscale, en ne corrigeant pas les excès d’un accord paritaire de réforme du marché du travail qui refléta un rapport de force très favorable au Patronat face à un syndicalisme divisé. Elle s’acheva enfin en concentrant tous les moyens budgétaires dans un seul instrument : redistribuer des ressources fiscales des ménages vers les entreprises sous la forme d’une subvention globale, sans condition ni contrôle, nommée CICE puis Pacte de Compétitivité.
Il y a un échec. In y a en effet une défaite socialiste depuis Mai 2012. Nous l’avons payé aux Municipales, aux Européennes, aux Sénatoriales. Le Parti Socialiste, qui disposait de la majorité absolue au Parlement en Juin 2012, est sur le point de perdre sa majorité. Mais cet échec ne serait que politique, il serait surmontable.

Notre politique ne produit pas les résultats promis : certes, nous avons baissé le déficit publique, mais l’endettement de l’Etat a progressé, le chômage a gagné, imposant une vie de contraintes et d’angoisse à 1 million de compatriotes supplémentaires,  la pauvreté aussi, et son corollaire, le mal-logement. La croissance reste en panne, dans une économie européenne au bord de la déflation. Même la tyrannie des faits le dit ! Non, cette politique ne marche pas.

Mais l’échec économique est toujours relatif : il y a aussi des profiteurs de cet état de fait. Et un échec économique serait surmontable. Qui sait, peut-être que les entreprises, leur trésorerie remises à flot par le CICE, reprendront l’investissement ? Peut-être que la politique de la Banque Centrale Européenne, en affaiblissant l’Euro, permettra une reprise des exportations ? Peut-être que la baisse des prix de l’énergie vont booster la consommation ?

Ces paris, nous le voyons bien, sont des fatalismes. Ils s’abandonnent à des décisions, des évènements, des faits, donc une autre tyrannie hors de notre influence.

C’est que notre échec est bien plus grave que celui d’un échec politique ou économique.

Notre premier échec, c’est notre défaite morale.

Nous n’avons pas su, collectivement, conserver l’éthique d’action qui nous permit d’organiser les Primaires, première aventure collective pour de nombreux militants, de mener la campagne présidentielles et de gagner les législatives.

Nous avons été trahi moralement par une série de manquements individuels : cela commença certes dès les révélations sur le machisme toléré de Dominique Strauss-Kahn, dont nous ne tirâmes aucune leçon, avec l’affaire Cahuzac, avec les impudeurs issues de la vie privée de notre président, avec Thevenoud, avec les nominations boutiquières aux listes des Européennes, avec la nomination d’un Secrétaire National ayant échoué au gouvernement, avec tous ces petits scandales et ces compromissions où nous n’avons pas agi. Oui, la Justice est libre et indépendante, mais notre engagement est moral : nous avons un devoir aussi collectif ! Nous aurions dû ici agir.

Nous avons trahi moralement aussi toutes les règles qui régissent notre Parti. Notre Secrétaire National actuel n’est pas élu. Notre congrès statutaire n’a pas eu lieu. Nos forums de débats et de construction des synthèses sont désertés, méprisés. Les votes des militants, lorsqu’ils ne répondent pas aux attentes, sont manipulés. 

Bien plus grave est la trahison morale fondamentale : nous n’essayons même pas d’être fidèle à notre engagement, et nous plions aux doctrines des Droites Européennes.

Il nous faut donc reconstruire notre primat moral. Cela ne sera pas facile. Cela passe avant tout par un effort collectif : c’est aux militants de prendre le parti, et de changer les hommes qui le dirige.

Cela passe aussi par une interrogation fondamentale sur ce que nous souhaitons réaliser ensemble. Si le projet est de replâtrer un système économique et une Union Européenne tels qu’ils sont, pour continuer jusqu’à la prochaine crise spéculative, alors notre Parti ne fera pas l’économie d’une scission nécessaire entre ceux qui préfèrent obéir à des faits préparés par les Droites Européennes et ceux qui savent qu’agir selon notre philosophie morale, c’est se confronter aux Droites Européennes.

La première, la plus urgente contribution que le Parti Socialiste peut donc avoir dans le débat démocratique, c’est organiser, le plus vite possible, son congrès. C’est la condition morale à sa survie.

Car le congrès du Parti est le lieu où se retrempe la volonté morale de changer le monde, où se fonde le collectif qui veut la mettre en œuvre, c’est aussi le moment où les militants décident de leur gouvernance et de leurs représentants.

Ne pas tenir un congrès, c’est trahir l’exigence morale de démocratie.

Ne pas écouter les militants, c’est trahir la philosophie même du socialisme, irréductible à l’éthos d’un seul, à l’hybris de quelques uns.

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