Thursday 22 October 2015

Entre délire et grotesque

Instrumentaliser l'histoire pour servir les intérêts particuliers du présent

Il y a 167 ans, les ouvriers de Vienne se préparaient, sans espoir de vaincre, à l'assaut des troupes impériales autrichiennes. L'assaut, fin octobre 1848, fit 2000 morts, sans compter les exécutions futures, les emprisonnements et les tortures. Le Député allemand Robert Blum devait être aussi exécuté, illégalement.
L'écrasement de Vienne est le prélude sanglant à celui de la Hongrie, puis à la fin de tout espoir révolutionnaire allemand dans le sang des badois. Berlin avait été maté plus tôt dans l'année. Après le massacre de 250 berlinois, dont des enfants, l'armée prussienne devait enfermer dans une caserne près de 500 ouvriers et artisans saisis aux hasard dans les faubourgs, pour les torturer, les humilier, les faire crever de faim, pour se venger de la peur qu'ils inspiraient.
Pratique comme on le voit habituelle des dictatures, Assad n'a rien inventé.
La révolte de Vienne commence en mars 1848 par une manifestation de femmes travailleuses, à qui le gouvernement voulait baisser le salaire de 25%, sabrées par la police, faisant plusieurs mortes.
La révolution française de 1848 s'achève elle en Juin, lorsque l'armée vient tirer sur les ouvriers pour une revendication salariale. Il faut relire la violence des débats parlementaires de juillet, lorsque Proudhon propose une réforme fiscale, lorsque Hugo vient dénoncer l'extrême pauvreté.
Revendications sociales et émancipation démocratiques sont liées. 
Elles sont indissociables. 
Condamner l'auteur de textes de 1852 parce que, faisant le lien entre les deux, il ne voyait d'autres méthodes pour les réaliser que la révolution et le renversement d'un ordre de domination par un autre, c'est faire bien peu preuve de culture historique et démocratique. La République sociale de Waldeck-Rousseau n'est pas possible sans le souvenir de Juin 48 et celui de la Commune. 

Cependant, ce n'est pas le monde de 1848 qui nous permet de comprendre 2015. Condamner par sophisme toute réflexion sur les rapports sociaux au nom d'un texte de 1852 écrit dans un contexte de violences, déclenchant une vague de réfugiés européens en Angleterre et aux Etats-Unis, c'est instrumentaliser, dans une vision révisionniste de l'histoire. 
C'est ce que fait Laurent Joffrin aujourd'hui. Dans le procédé rhétorique, et l'emphase, c'est la même méthode que celle du Premier Ministre israélien cherchant à dédouaner l'Allemagne hitlerienne du crime génocidaire pour, par un glissement sophiste, en rendre responsable ceux qu'il identifie comme ses adversaires contemporains, les Palestiniens.
Staline n'est pas responsable de ses crimes! C'est Marx, un siècle auparavant, qui est le vrai coupable, et par extension, tous les critiques de l'ordre social sont complices! Joffrin, qui lit peu mais lit mal, ne cite pas Stiglitz, Piketty, Galbraith, Gaebler ou Sedicek comme ces criminels fous furieux qui, en remettant en cause l'ordre social, sont complices du stalinisme, du léninisme aussi.
Non, il cite un auteur bien plus subversif! Attali! Le père spirituel de Macron, l'inspirateur du rapport à Sarkozy de 2008 qui sert toujours de boussole intellectuelle au ministre actuel, et qui sert bien le rapport social et la distribution des richesses actuelles!
Alors que l'instrumentalisation du mufti de Jérusalem, un être minable, criminel et malheureusement impuni, par le Premier Ministre israélien est délirante, l'éditorial de Laurent Joffrin est lui grotesque. Joffrin démonte Marx pour régler un compte de jalousie germanopratine...

(Image: les manifestantes sabrées par la police montée sur le Prater de Vienne, Mars 1848. Image Libre de droit d'après sa source)