Sunday, 24 September 2017

Un nouveau départ

La polémique récente sur les propos de Jean-Luc Melenchon m'ont inspiré quelques réflexions.

"La rue" renvoie dans notre histoire aux insurrections de la Commune de Paris, depuis le 10 Août 1792 au moins.
C'est donc bien l'insurrection d'août 1944 et avec elle toutes les résistances à l'occupation qui était évoqué.

La polémique vise à taire la réalité du succès, et le rassemblement des gauches d'opposition en tête de cortège.

J'ai voté JLM pour tenter d'éviter Le Pen au second tour. J'ai voté FI au premier tour des législatives face à un candidat PS plus macroniste encore que le vainqueur du Modem.

Mais jusqu'à dix jours du premier tour de la présidentielle je souhaitais voter nul. Je suis critique de la bobinette Melenchon, comme de tous les mouvements à Tribun. Cesar était un Tribun, Louis-Napoleon Bonaparte aussi, Boulanger aussi.

Il y a cependant des réalités objectives à prendre en compte.
Depuis le ralliement des social-démocraties européennes aux règles et normes politiques et sociales des bourgeoisies heureuses de la mondialisation et l'effondrement de la critique radicale capitaliste dans les décombres des dictatures soviétiques, le seul vote de contestation laissé aux salariés et employés, aux chômeurs et aux pauvres, c'est le vote d'extrême-droite.

Partout on observe - en France dès les années 80 et le succès de Fabius, la rupture idéologique se faisant non pas sur la question economique, mais sur l'école, avec la capitulation mitterrandienne devant la rue réactionnaire - la perte du total gauche dans les milieux populaires et moyens, et l'apparition de partis identitaires, populistes, nationalistes, reprenant à leur compte l'interventionnisme de l'Etat et le protectionnisme.
L'Allemagne fut peut-être le pays à résister le plus longtemps, ses deux histoires - la dictature nazie qu'elle se choisit librement, la dictature communiste que les 4 alliés imposèrent à sa partie Est - l'empêchant de basculer avant la disparition biologique de ceux conscients des années 30.
Ce dimanche, le total gauche approchera les 40%, l'extrême droite les 12%.
Entre 1998 et 2005, en 3 élections, le total gauche était de 52%.
D'où viennent ces 12%? Qui les a perdu ?

La reconquête de l'électorat populaire est l'enjeu majeur de la gauche, et la seule chance de survie de la démocratie à moyen terme.
Partout les autoritarismes progressent. Partout les menaces de guerre augmentent. Partout les contradictions matérielles menacent l'Union dans son fondement même.
Il y a la Pologne, la Hongrie, la Bulgarie s'enfonçant dans la corruption mafieuse, la Marche vers le pouvoir du FPÖ autrichien, le chaos absolu du Brexit, création des conservateurs britanniques.
L'Espagne est au bord d'une situation à l'ukrainienne.
Heureusement, ni l'Allemagne ni la Russie n'y jouent des jeux dangereux, car il y aurait déjà des morts et des lignes de Front.

Cela montre à quelle vitesse des situations stables, au cœur même de l'Europe, peuvent basculer.

Il y a des réalités objectives à une reconquête politique. Ce n'est pas avec un agenda "SOS racisme" - l'association qui m'amena à m'engager à 14 ans, m'inspira la création d'une section FidL dans mon lycée - qui ramènera les classes populaires à gauche.
Il y a un travail formidable pour remettre les questions sociales et celles de la production et distribution des richesses au cœur des motivations et des combats.

Jaures, dans un discours sur l'Internationalisme de 1908, mais aussi sur la méthode, sur l'articulation de l'action Politique, forcément exposée aux tentations de compromis voire de compromissions, et l'action syndicale, chargée, dans la rue, de rappeler la représentation politique du mouvement social à sa mission historique, bref, sur le socialisme démocratique jauressien, précise également la place du patriotisme. J'ai publié hier sur mon fil 5 copies d'écran de ce discours, disponible sur Gallica en accès libre.
Il développera cette réflexion dans l'Armée Nouvelle (1911) dont je reprends deux extraits:
"Quand on dit que la révolution sociale et internationale supprime les patries, que veut-on dire ? Prétend-on que la transformation d’une société doit s’accomplir de dehors et par une violence extérieure? Ce serait la négation de toute la pensée socialiste, qui affirme qu’une société nouvelle ne peut surgir que si les éléments en ont été déjà préparés dans la société présente. Dès lors, l’action révolutionnaire, internationale, universelle, portera nécessairement la marque de toutes les réalités nationales. Elle aura à combattre dans chaque pays des difficultés particulières, elle aura en chaque pays, pour combattre ces difficultés, des ressources particulières, les forces propres de l’histoire nationale, du génie national. L’heure est passée où les utopistes considéraient le communisme comme une plante artificielle qu’on pouvait faire fleurir à volonté, sous un climat choisi par un chef de secte. Il n’y a plus d’Icaries. Le socialisme ne se sépare plus de la vie, il ne se sépare plus de la nation. Il ne déserte pas la patrie; il se sert de la patrie elle-même pour la transformer et pour l’agrandir. L’internationalisme abstrait et anarchisant qui ferait fi des conditions de lutte, d’action, d’évolution de chaque groupement historique ne serait qu’une Icarie, plus factice encore que l’autre et plus démodée."
 Et aussi:
"Ce n’est donc que par la libre fédération de nations autonomes répudiant les entreprises de la force et se soumettant à des règles de droit, que peut être réalisée l’unité humaine. Mais alors ce n’est pas la suppression des patries, c’en est l’ennoblissement. Elles sont élevées à l’humanité sans rien perdre de leur indépendance, de leur originalité, de la liberté de leur génie. Quand un syndicaliste révolutionnaire s’écrie au récent congrès de Toulouse : A bas les patries! Vive la patrie universelle! il n’appelle pas de ses vœux la disparition, l’extinction des patries dans une médiocrité immense, où les caractères et les esprits perdraient leur relief et leur couleur. Encore moins appelle-t-il de ses vœux l’absorption des patries dans une énorme servitude, la domestication de toutes les patries par la patrie la plus brutale, et l’unification humaine par l’unité d’un militarisme colossal. En criant : A bas les patries ! il crie : A bas l’égoïsme et l’antagonisme des patries ! A bas les préjugés chauvins et les haines aveugles ! A bas les guerres fratricides ! A bas les patries d’oppression et de destruction ! Il appelle à plein cœur l’universelle patrie des travailleurs libres, des nations indépendantes et amies."

Jaures ne fut jamais sur la ligne de Herve.

Melenchon n'est certainement pas Jaures. D'ailleurs, il ne s'agit pas ici de comparaison de personnes, mais de rappels de débats de doctrine et de tactique fondamentaux. On le sait, dans les rapports avec le syndicalisme, dans le combat parlementaire depuis l'opposition, je suis plus proche du Guesde de 1892-1896 que de Jaures. Je crois à la nécessaire unité syndicale - toutes ces confédérations vaines et divisées du paysage syndical français sont des parodies de syndicalisme - et à la nécessaire relation intime du syndicat et de la représentation politique du mouvement social.
Mais ici, Jaures et Melenchon ont un point commun : ils savent que la transformation sociale n'est possible qu'en reconnaissant le patriotisme populaire.

Enfin ! La Commune de Paris de 1792 qui mets bas la royauté se révolte contre la trahison de ses élites face à la guerre étrangère!
Enfin! La Commune de Paris mets à bas l'Empire en septembre 1870 et tente encore de mettre bas la bourgeoisie en octobre, en mars 1871, par refus de la trahison de la Patrie!
La lutte sociale, l'émancipation économique et civique sont indissociables de la Republique, et de la Patrie.

Cette dimension est une réalité objective. Et 40 ans d'engraissement du FN sur cette réalité là ne permets pas de passer d'un vote à l'autre sans sas de reformulation et de reconstruction.

Le rassemblement du 23 septembre 2017 à Paris a vu l'unité de la gauche d'opposition, de l'aile gauche du PS représentée par Emmanuel Maurel au Parti Communiste avec Pierre Laurent, des mouvements de l'écologie politique comme Sergio Coronado aux mouvements de la contestation sociale comme Ruffin, des anciens du Parti de Gauche aux anciens du PS comme Hamon, des groupes de la France Insoumise comme Liêm Hoang Ngoc à son Tribun maître des clivages, Melenchon.

Ce rassemblement, c'est 25% des électeurs du premier tour de la présidentielle, c'est 34 députés.

C'est à la fois la première manifestation vers une forme de convergence politique, et aussi, le point de départ depuis une position de faiblesse.
Le total de ces voix, c'est moins que Le Pen au second tour de la présidentielle.
Le premier des enjeux, c'est reconquérir par l'ensemble des moyens possible une Stratégie,  idéologique et tactique, pour détruire les bases électorales du FN, et construire une nouvelle Alliance.

Cela explique le positionnement controversé de la France Insoumise, son "ni Droite ni gauche" et son nationalisme.
Ce n'est pas mon horizon, mais j'en reconnais la nécessité, car je suis conscient des réalités objectives.

Il y a enfin la convergence internationale.
Soyons lucide : aujourd'hui, quelque soient leur numéros, toutes les internationales sont des coquilles vides, stériles, vaines et inutiles, pire, ce sont des obstacles à construire ce que le monde réclame.

J'en parlais hier avec un ami anglais, Peter Kenyon, la réalité du Corbynisme devrait donner au Labour dans cette couleur un rôle particulier, une responsabilité particulière.
Oh, il y a encore bien des imbéciles libéraux dans ce parti, l'article que vient de publier l'étoile montante du blairisme, Chuka Umuna, déplaçant le débat des questions sociales et de l'échec des conservateurs dans leur propre création brexitienne vers un débat interne au Labour sur la nécessité de s'asseoir sur le,resultat du référendum, le démontré amplement. Chuka ne veut pas sérieusement annuler le Brexit. Il veut, comme Boris Johnson, instrumentaliser le Brexit dans des querelles de pouvoir internes au Labour. C'est, comme Boris Johnson, stupide.

Mais cela montre à quel point nous avons besoin d'un nouveau forum, où Labour Corbyniste, les gauches d'opposition française, Linke et ce qui sortira de la crise existentielle du SPD qui s'ouvrira ce soir, Podemos et Sanchez, surtout face aux agressions inouïes contre la paix intérieure de Rajoy, les partis composants le compromis majoritaire portugais, peuvent échanger et construire des propositions communes.

Je conclue avec Jaures :
"c’est que la volonté irréductible de l’Internationale est qu’aucune patrie n’ait à souffrir dans son autonomie. Arracher les patries aux maquignons de la patrie, aux castes de militarisme et aux bandes de finance, permettre à toutes les nations le développement indéfini de la démocratie et de la paix, ce n’est pas seulement servir l’Internationale et le prolétariat universel, par qui l’humanité à peine ébauchée se réalisera, c’est servir la patrie elle-même. Internationale et patrie sont désormais liées. C’est dans l’Internationale que l’indépendance des nations a sa plus haute garantie; c’est dans les nations indépendantes que l’Internationale a ses organes les plus puissants et les plus nobles. On pourrait presque dire : un peu d’internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup d’internationalisme y ramène. Un peu de patriotisme éloigne de l’Internationale ; beaucoup de patriotisme y ramène."

Sunday, 12 March 2017

Invitation a lire L'arène nue: [ Vers le Grexit ? 2/3 ] - Grèce : l'impasse géost...



Excellent point de vue sur la Grèce de Olivier Delorme 



L'arène nue: [ Vers le Grexit ? 2/3 ] - Grèce : l'impasse géost...: Olivier Delorme est écrivain et historien. Passionné par la Grèce, il est l'auteur de  L a Grèce et les Balkans: du Ve siècle...

Friday, 3 March 2017

Deuxième partie de l'entretien sur l'Allemagne avec Coralie Delaume
http://l-arene-nue.blogspot.fr/2017/02/souverainiste-lallemagne-ne-changera.html


« Souverainiste, l'Allemagne ne changera pas sa politique européenne », entretien avec Mathieu Pouydesseau






Mathieu Pouydesseau vit et travaille en Allemagne depuis 15 ans et espère obtenir prochainement la nationalité de ce pays. Il est diplômé de l'IEP de Bordeaux et en Histoire, et travaille dans l'informatique. Longtemps fédéraliste européen, il fut un temps au Conseil national du Parti socialiste français, et est actuellement engagé auSPD allemand. Il s'exprime donc ici en tant qu'observateur de l'Allemagne connaissant à la fois le tissu économique et les structures politiques du pays.

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Long et fouillé, le présent entretien est publié en deux volets. Ci-dessous, le second volet traite essentiellement de l'Allemagne dans les relations internationales et de la manière dont elle conçoit l'Europe. La première partie, qui faisait le point sur l'état du paysage politique allemand avant les élections législatives de 2017, est disponible ici


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On voit bien le long processus de morcellement du paysage politique et son résultat paradoxal, qui risque d'être, en somme, le maintien du statu quo. Mais au bout du compte quelles en sont les causes ? Faut-il y voir un effet de la montée des inégalités avec un modèle économique qui fait clairement des gagnants et des perdants ? De la politique migratoire d'Angela Merkel ? De l'apparition dans le pays d'un terrorisme auquel il ne semblait pas s'attendre ?
Il y a des explications conjoncturelles, d'autres structurelles. Et il faut sans doute relativiser un peu le conjoncturel (les attaques terroristes), même s'il s'agit d’événement traumatisants par leur violence. Il faut savoir que l’Allemagne a un passé terroriste. C’est le pays où est née la Fraction Armée Rouge, inspiratrice d’Action directe en France. Et la partie Est a abrité de nombreuses figures des mouvements terroristes palestiniens ou des mouvements de libération divers. L’Allemagne est aussi un pays frappé par un phénomène heureusement peu développé en France : les massacres aveugles de jeunes gens, dans leurs lycées ou dans des écoles. Enfin, il existe un fond d’activisme violent de l’extrême droite dont la face cachée a émergé à la stupéfaction générale en novembre 2011. On a alors découvert qu’un groupe néonazi avait pu mener pendant dix ans une « chasse aux métèques » dans l’impunité totale, tuant 9 immigrés et une policière, et commettant une attaque à la bombe avec 180 blessés. La violence terroriste récente, dramatique, n’est donc pas aussi déterminante que certains l'ont dit. 
Les explications structurelles, davantage économiques, expliquent sans doute mieux un effritement politique visible dès 2005, et qui s’accélère. Là, il faut rappeler l’existence d’une société à trois vitesses en Allemagne. 
Une étude récente publiée par le quotidien économique libéral Handelsblatt soulignait les ressorts du plein emploi allemand, ainsi que les contrastes des évolutions de revenu. Entre 2002 et 2017, en sens inverse d'une démographie déclinante, le nombre d’actifs, a augmenté de 5%. C’était l’objectif des reformes Schröder : pousser à la reprise d’activité de toutes les classes populaires. Mais dans le même temps, le volume d’heures travaillées - et donc rémunérées - a diminué de 5% ! La durée moyenne réelle de la semaine de travail rémunérée est passée de 40 heures en 2002 à … 35 heures en 2016 ! 
L'explication est simple : l’Allemagne a réglé son chômage de masse en procédant à une série de réformes ayant abouti à une gigantesque réduction d’un temps de travail et des salaires imposée aux salariés. Et le nombre de travailleurs pauvres a sur la même période explosé : 10% des salariés gagnent moins que le minimum social et ont recours aux distributions alimentaires. Le taux de pauvreté a progressé entre 2002 et 2016 et reste, avec plus de 16% de la population, 20% plus haut que le taux – pourtant lui-même record – de pauvreté français. 
Dans le même temps, le tiers de salariés travaillant dans les secteurs exportateurs a vu sa durée moyenne de travail hebdomadaire rester stable à 41heures. Ces salariés, les mieux rémunérés, n’ont pas subi ce que les employés de service, agricoles, les intermittents du bâtiment de l’industrie, ont eu à supporter. 
La troisième catégorie enfin, est constituée des 10% les plus riches dont la part dans la richesse nationale allemande a explosé, à rebours d'une tradition allemande d’un certain égalitarisme. 
On se retrouve donc avec une situation explosive au sein de l’économie la plus prospère de l’Union Européenne, car elle maintient 50% de sa population depuis presque 15 ans à l’écart de la prospérité saluée partout. Un vote « antisystème » comme celui qui a permis le succès des Pirates en 2011 était un avertissement sans frais. Aujourd'hui c'est différent. Le vote antisystème se cristallise sur l’AfD, les autres partis essayant de siphonner son électorat en se montrant eux aussi subversifs – jusque dans les rangs de l’Union où le parti régional bavarois CSU est plus critique encore vis à vis de Merkel que le SPD ! 
La chancelière est donc dans une impasse. Son parti la soutient comme la corde le pendu, et se résigne a une nouvelle Grande coalition en 2017. Il est possible toutefois qu’un score médiocre entraînerait le départ de Merkel, peut-être en cours de mandat. L’enjeu pour elle et pour conserver la chancellerie, c’est donc d’assurer à la CDU-CSU de finir devant le SPD aux législatives de septembre.
Pour autant, aucun des deux partis de gouvernement n’a de réponse à la violence et la durée de la crise sociale allemande. L’AfD va donc continuer à progresser. 

Dans les tous premiers entretiens qu'il a accordés à la presse britannique et allemande, DonaldTrump a explicitement visé Berlin (dont les excédents commerciaux excessifs sont toutefois sous surveillance du Trésor américain depuis plusieurs années). Comment les Allemands prennent-ils l'inflexion manifeste de la politique européenne des États-Unis, et la récurrence des critiques américaines contre leur pays ?
Dès 1949 et plus encore après le traité de Paris de 1954, l’Allemagne a misé sur l’OTAN et le partenariat avec les États-Unis. Contrairement à la France, pour laquelle l’OTAN enserre une nation qui se rêve toujours en grande puissance, l’Allemagne a longtemps vu l'Alliance atlantique à la fois comme un bouclier (avoir été zone frontière entre les deux blocs, cela marque) et comme la condition pour redevenir souveraine. 
L’alliance américaine est donc essentielle dans la construction de l’identité même de l’Allemagne d'aujourd'hui, démocratique et pacifique, non interventionniste et en paix avec ses voisins. Cela relève bien sûr pour partie du mythe. Il n’en reste pas moins que l’OTAN et le parapluie militaire ont permis à l’Allemagne de développer une conception mercantile du rapport au reste du monde, sans volonté de puissance et de domination militaire, avec une part du PIB consacre aux dépenses de Défense en baisse constante depuis la chute du mur. L'aspect « sécurité et défense » de la souveraineté nationale allemande a été très efficacement longtemps sous-traité à Washington. 
Cela avaient commencé à changer sous Schröder. La première fois que des militaires ouest-Allemands ont été envoyés en opération hors d’Allemagne, c’est au Kosovo en 1999. Depuis, les Allemands ont été engagés en Afrique, en Afghanistan – avec le terrible bombardement de Kunduz qui fit cent morts civils et coûta sa place à un ministre de la Défense – en Syrie. Pourtant, la République fédérale n’y voit pas du tout l’accomplissement d’un destin de grande puissance. Il ne s’agit que de travailler dans le cadre de l’OTAN. 

C'est donc la mise en cause du parapluie américain, qui inquiète les Allemands, plus que la critique des excédents commerciaux qu'ils se taillent sur les autres pays européens et sur les États-Unis ?
Oui car le changement de braquet qu'esquisse Trump touche là à une impensé radical des élites allemandes, lesquelles n’ont jamais développé de doctrine militaire alternative. 
Par exemple, l’Allemagne n’a jamais envisagé l'Europe de la défense comme un but important. De plus, face à deux pays, France et Grande-Bretagne, bénéficiant de dispositifs complets de défense et de sièges permanents au Conseil de sécurité de l'ONU, il n’était pas dans l’intérêt national de se retrouver dominé sur le sol européen. Au moins, la domination de l’OTAN par les USA est-elle conçue comme légitime, alors que reconnaître à la France ou la Grande-Bretagne une position dominante n’est rien moins qu'évidente. C’est pour cela que l'idée française de mutualiser la défense de l’Union émise après les attentats a été ignorée par Berlin, ou que l’Allemagne a toujours refusé que les dépenses militaires et de sécurité soient exclus du calcul des déficits publics. 
Au final, les réactions allemandes ayant suivi l'évocation d'un possible abandon de l’OTAN par les États-Unis sont allés de l'incrédulité à la panique pure, en passant par la tentative de définition dans l'urgence d’un chemin propre à l’Allemagne... sans que soit envisagé à aucun moment de se tourner vers l'Europe. Certaines voix s'élèvent par exemple pour réclamer la création d’une force de dissuasion nucléaire allemande. D’autres affirment que la priorité est à la reconstitution d’un appareil de défense conventionnel puissant et autonome, pour ne pas être dépendant, justement, de la France ou de l’UE. 
Quant à la question des excédents commerciaux excessifs.... l’Allemagne mercantiliste merkelienne ne comprend pas le problème. Pour autant, je ne serais pas surpris de voir l’Allemagne augmenter ses commandes de matériel militaire américain pour compenser en partie cet excèdent, et pour apaiser Washington. 

Aucune chance donc que la politique européenne de l'Allemagne change dans un sens plus redistributif et plus « solidaire », la République fédérale souhaitant préserver ses amitiés européennes à l'heure du désamour américain ?
Ma réponse sera simple : non. La RFA ne souhaite pas préserver ses amitiés. Elle n’a pas le sentiment d’en avoir besoin, ni d’être mise sous pression par quiconque. 
De plus, le principe même qui régit le fonctionnement de l’État fédéral allemand, c'est à dire la solidarité financière entre régions riches et régions pauvres (principe très largement mis en œuvre lors de la réunification) est absolument impensable, pour les Allemands, à l'échelle européenne. Le blocage idéologique sur ce sujet est total. Car la perception de l’Allemagne de son propre rôle dans la crise européenne est très différente de la notre. Le pays se voit comme celui qui aurait paie déjà pour les déficits des autres. C'est évidemment totalement faux. Mais cette propagande sert aux élites actuelles à justifier que les 50% les plus modestes ne voient pas leur situation matérielle s’améliorer depuis 15 ans, mais au contraire se dégrader. 

Après tout ce que vous venez de dire, ne peut-on par affirmer que l'Allemagne est le pays le plus « souverainiste » d'Europe ?
N'oublions jamais l'histoire récente du pays. Pendant les dix années qui suivent la Seconde guerre mondiale, l'Allemagne n'est pas souveraine. Les quatre puissances occupantes exercent le pouvoir exécutif, nomment dans les administrations, directement ou par délégation, et suivant des modalités assez différentes suivant les zones. Ce sont les trois occupants de l'Ouest qui mènent une unification de leurs zones par une réforme monétaire et la création du Deutsche Mark. Des 1949, l'Allemagne est donc coupée en deux par la différence de monnaie. Ce n'est qu'en 1955 que la partie Ouest retrouve une souveraineté et forme la République Fédérale d'Allemagne, membre de l'OTAN. A l'Est se mets en place un régime communiste dominé par la relation à l'URSS. Ce n'est qu'en 1990 que cette partie de l'Allemagne connaîtra ses premières - et dernières - élections libres, avant d'être réunifiée à l'Ouest en octobre 1990. 
L'histoire de l'après-guerre allemand est donc totalement différent de celle de la France. Pendant que la France combat des peuples colonisés aspirant à leur leur propre souveraineté, l'Allemagne parcourt un long chemin pour recouvrir patiemment la sienne. 
La conception même de la démocratie en Allemagne est donc fondamentalement attachée au principe de souveraineté. La loi constitutionnelle allemande, la Grundgesetz, est protégée par un service de police propre - l'équivalent de ce que furent les Renseignements Généraux en France, mais concentrés sur la subversion politique d'extrême-droite comme d'extrême-gauche – et le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe veille jalousement sur la souveraineté du peuple allemand. Cela passe par des dispositions, intégrées par dérogation aux traités, qui accordent au Parlement allemand un droit de regard sur les questions européennes bien plus important que celuidont dispose l'Assemblée Nationale en France ! Notons d'ailleurs que c'est bien le peuple souverain, via ses représentants élus qui est ici au cœur de tout, et non l'exécutif, qui procède du Bundestag. Il n'y a pas en Allemagne de « Président » puissant (même s'il y en a un) et Angela Merkel, toute chancelière qu'elle soit, doit régulièrement négocier avec les différentes ailes de son parti et avec les autres formations au Bundestag. 
Il y a deux principales différences, cependant, entre la vision allemande de l'intégration européenne telle qu'elle existait dans les années 1955-2000, et celle qui prévaut depuis 2000. Tout d'abord, l'Allemagne du XXI° siècle estime avoir suffisamment expiée les crimes de celle du XXème. Fait notable, la Coupe du monde de football de 2006 a permis de recommencer à afficher sans mauvaise conscience un patriotisme du drapeau, une fierté nationale positive. Depuis lors se succèdent les émissions et films retraçant la part allemande de souffrance pendant la seconde guerre : bombardements de Dresde, expulsions des populations germanophones de Prusse orientale, de Bohême, de Pologne, naufrage des navires pleins de civils dans la mer du Nord sous les bombes britanniques etc... Cette relecture fait contraste avec celle de la fin du XXème siècle, où la grande polémique concernait les crimes de l'armée allemande. Ce nationalisme assumé trouve depuis des traductions politiques propres : parti AfD, best sellers populistes de Thilo Sarrazin (auteur la version allemande de la théorie du « grand remplacement », longtemps en charge des finances pour le … SPD de la ville de Berlin, et membre un temps du directoire de la Banque Centrale Allemande...). 
Le XXI° siècle est cependant aussi le siècle de l'unification européenne par la monnaie. Or, l'Allemagne est la seule Nation européenne dont la construction nationale et étatique soit profondément liée à la création d'une union douanière et monétaire - la première fois avec la Zollverein (Union douanière) de 1834, qui précède de peu l'unité politique tardive, la deuxième fois comme rappelé à l'instant entre 1949 et 1990. Les est-Allemands étaient fascinés à l'idée de recevoir des Deutsche Mark au moment de la chute du mur. La décision d'Helmut Kohl de garantir la convertibilité de la monnaie de la RDA en DM, si elle entraîna un surcoût considérable de la réunification et accéléra le déclin économique de la partie Est, explique aussi les succès électoraux du parti de Kohl sur la période. 
Dit autrement: la création d'une monnaie unique avec l'Allemagne consiste à jouer avec un expert en unification monétaire et douanière. Et la question de la monnaie est au cœur même du processus de construction national – au-delà des tartes à la crème sur l'hyperinflation de 1923... 
L'Allemagne est donc, par son histoire, souverainiste. Et alors que la construction européenne fut théorisée par les élites allemandes de l'après-guerre comme un moyen de se protéger contre eux-mêmes et contre leur propre histoire, l'Europe est devenue, à partir de l'unification monétaire, un espace de domination naturel. 
La conception de la souveraineté monétaire est profondément différente, outre-Rhin, de celle de la France. Nous sommes le pays de Philippe le Bel, qui frappe de la fausse monnaie et fait brûler ses créanciers pour conserver le contrôle sur son État, de Louis XV refinançant son État avec Law et provoquant ainsi l’un des premiers grands crash financiers de notre histoire. Nous sommes héritiers de la Révolution issue des États généraux dont l’objet était d’abord le refinancement de la dette publique, Révolution qui finança ses guerres avec une monnaie de singe, les assignats. Pour nous en somme, l’État doit contrôler la monnaie. 
Pour les Allemands, la création d’une monnaie unique précède à deux reprises, en 1834 et en 1949, la création d’un État-nation. Comment pouvons-nous nous comprendre - et nous ajuster - avec un tel éloignement de départ ?
L’amitié franco-allemande n’a pu fonctionner que le temps des générations qui avaient vécu les guerres, entre des gouvernements qui n’avaient pas peur de poser leurs contradictions, leurs conflits et leurs désaccords. On était très loin de la situation actuelle, notamment de la vassalité des élites françaises post-euro.


Entretien avec le blog l'Arene Nue sur l'Allemagne avec Coralie Delaume

Première partie 
http://l-arene-nue.blogspot.fr/2017/02/en-2010-lallemagne-fait-une-politique.html

« En 2010, l'Allemagne a fait une politique de relance massive », entretien avec Mathieu Pouydesseau




Sigmar Gabriel et Angela Merkel




Mathieu Pouydesseau vit et travaille en Allemagne depuis 15 ans et espère obtenir prochainement la nationalité de ce pays. Il est diplômé de l'IEP de Bordeaux et en Histoire, et travaille dans l'informatique. Longtemps fédéraliste européen, il fut un temps au Conseil national du Parti socialiste français, et est actuellement engagé au SPD allemand. Il s'exprime donc ici en tant qu'observateur de l'Allemagne connaissant à la fois le tissu économique et les structures politiques du pays.
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Long et fouillé, le présent entretien est publié en deux volets. Ci-dessous, le premier volet traite essentiellement de l'état du paysage politique allemand, à quelques mois des élections législatives de 2017 qui seront décisives pour le pays et pour l'Europe. Les difficultés rencontrées par les partis de gouvernement (CDU et SPD), le caractère irréconciliable des gauches allemandes, l'effritement ("weimarisation") du paysage politique et la montée de la droite radicale, y sont analysés. 
La seconde partie de l'entretien sera davantage orientée vers l'analyse du modèle économique allemand et sur l'Allemagne dans les relations internationales. 

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Sigmar Gabriel, qui a récemment quitté la direction du SPD et laissera Martin Schulz affronter Angela Merkel aux élections législatives allemandes de 2017, a déclaré fin janvier que la politique de la chancelière avait contribué « de façon décisive aux crises toujours plus profondes de l'Union européenne depuis 2008, à l'isolement d'un gouvernement allemand toujours plus dominant et - en s'accrochant impitoyablement à la politique d'austérité - au chômage élevé hors d'Allemagne ». Or Gabriel est tout de même.... ministre de l’Économie d'Angela Merkel. Quel sens cette déclaration a-t-elle ? Est-ce une façon de fermer la porte à toute nouvelle possibilité de « Grande coalition » après 2017 ?
Au-delà des jeux tactiques, reconnaissons au SPD d'avoir porté des diagnostics justes, dans le débat intérieur, sur les causes et les conséquences de la crise en Europe. Sans jamais cependant en tirer les conséquences politiques.  
Ajoutons ensuite que le surnom de Sigmar Gabriel au SPD, c’est « Zig-Zag Gabriel » pour sa capacité à prendre tout le monde avec constance à contre-pied. Son échec à être le candidat à la chancellerie – à deux reprises ! 2013 et 2017 – alors qu’il est le président du SPD, est inouï dans l’histoire. 
Quoiqu'il en soit, pour comprendre la déclaration de Gabriel, il faut revenir en 2008. La crise financière frappe alors que la première Grande Coalition voit une collaboration assez harmonieuse entre la CDU d'Angela Merkel – dans laquelle deux ailes s'affrontent, interventionnistes et ultralibéraux - et le SPD dominé par son aile droite et notamment par Steinmeier (le conseiller de Schröder à l'origine de « l'agenda 2010 », les reformes controversées du marché du travail et du système d'assurance sociale) et Steinbrück, ministre de l'économie.  
Face à la crise, Angela Merkel, comme à son habitude, joue la montre et refuse de décider quoi que ce soit. Finalement, sous la pression des Américains, des Britanniques et des Français, elle accepte d’abord organiser la recapitalisation du système. Effrayés cependant par les déficits qui s’accumulent, tant Merkel que Steinbrück refusent d’envisager, dans un premier temps, de soutenir la conjoncture. C’est suite à une fronde des députés et aux pressions de ses industriels que l’Allemagne se rallie à un plan de relance massif par l’investissement public (Konjonkturprogramm 1 à 4) et un soutien à l’emploi par la subvention massive du temps partiel comme alternative aux licenciements. En pratique, les entreprises ont eu la possibilité de mettre leurs employés à temps complet en temps partiel pendant une période portée à deux ans, avec l’État et l’assurance chômage versant la différence entre salaire à temps complet et temps partiel – soutenant la demande intérieure. 
Allons bon ! L'Allemagne qui prône aujourd'hui le malthusianisme budgétaire tous azimuts à fait, sous l'impulsion de la CDU, de l'aile droit du SPD, et sous la pression des industriels, de la relance keynésienne.... 
Oui et ça a marché. C’est là que se noue l’avantage compétitif allemand en Europe. Jusqu’en 2007 l’Allemagne se traîne en queue ou dans la moyenne de l’Union Européenne sur tous les grands indicateurs économiques. Le livre de Guillaume Duval « Made in Germany », a parfaitement exposé comment la réussite allemande s’est faite en dépit des réformes de Schröder et Steinmeier, et non grâce à elles, quoiqu'en dise la légende. 
Pourtant, en septembre 2009, le SPD est laminé aux élections. Pour quelle raison ?
Ce plan de relance particulièrement réussi, mis en musique par le SPD, ne profite finalement qu'à Angela Merkel. Le SPD est pris dans les contradictions. D’une part, son appareil est dominé par les schröderiens. D’autre part, les résultats de la politique qu'il inspire sont enfin efficaces, mais sont à l’opposé des primats idéologiques des réformes de 2003 : ce n’est pas la relance de l’offre, mais bien celle de la demande qui a relancé l’Allemagne. Gêné par tout cela, le parti ne cherchera jamais à revendiquer ce succès pour lui-même.  
De son côté, Merkel, pour pousser la division à gauche à son extrême, commencera dés 2009 à tresser des lauriers de héros incompris à Gerhard Schröder, enfermant les gauches dans leurs contradictions. Pour la droite allemande, il est indispensable en effet d'empêcher toute coalition possible des trois partis de gauche allemands. 
L'origine du mythe schrödérien, en tout cas, se trouve là. En Allemagne, on est persuadé d’une réussite économique « méritée », due à « les efforts douloureux nécessaires », que les autres pays d'Europe n'ont qu'à faire à leur tour s'ils veulent réussir aussi bien. 
Et le trois partis de gauche qui ne doivent surtout pas s'allier selon Merkel, qui sont-ils ?
Et bien ce sont d'abord les Linke, issu de l’alliance des anciens communistes de l’Est et des dissidents du SPD (les frondeurs allemands si on veut) partis pendant le deuxième mandat de Schröder, alliance symbolisée par le couple politique et privé de Oskar Lafontaine, ancien président du SPD, ministre des finances éphémère en 1998 démissionnant par refus d’une inflexion sociale-libérale, et Sahra Wagenknecht, de 25 ans sa cadette, née en RDA, figure du courant néo-marxiste, présidente du groupe parlementaire des Linke depuis 2015. 
Viennent ensuite les Verts, pari écologiste traversé par deux grands courants idéologiques, l’un plutôt conservateur né dans la lutte contre la construction de centrales nucléaires dans les régions rurales chrétiennes de l’Allemagne du Sud, et l’autre issu des mouvements post-68 dans les bassins urbains notamment de Francfort et Mannheim, où Joschka Fischer et Daniel Cohn-Bendit partagèrent un appartement. 
On a enfin le SPD, fier de ses 150 ans d’histoire, adossé à un puissant mouvement syndicaliste mais profondément affaibli depuis le tournant social-libéral du « progressisme » dans sa version Clinton-Blair-Schröder de la fin des années 1990, passé de 42% en 1998 à 25% en 2013. Les sondages avec Schulz comme tête d'affiche le donnent aujourd'hui à 30-32%. 
Face à la déroute de 2009, Sigmar Gabriel, alors ex-président de la région de Basse-Saxe, engage un timide virage sur sa gauche.  Le symbole de cette évolution est son slogan de « Mitte-Linke » ( « Au centre à gauche ») prenant le contre-pieds du slogan de Schröder ( « Neue Mitte » : le « nouveau centre ») .
A l’époque, la Fondation Friedrich Ebert – proche du SPD – publie des études macro-économiques assez complètes sur l’efficacité de la relance de 2009-2010, pose les principes d’une relance européenne et défend, face aux attaques spéculatives contre les dettes publiques, l’idée de forme de mutualisation. 
Sigmar Gabriel reste pourtant inaudible : Merkel a conservé le pouvoir en s’alliant aux libéraux du FDP – 14% des voix, leur record ! – et ceux-ci veulent une politique massive de réduction des impôts notamment sur les classes supérieures, et soutiennent, en Europe, le tournant austeritaire.  C’est ce qui amènera le traité fiscal européen (le TSCG), conçu par une Europe dominée par les droites. Ce traité fiscal et la violente contraction des dépenses publiques européennes tuera la relance de 2010 – l’Union Européenne est la seule région du monde à s’enfoncer dans une récession en 2012, une crise inutile provoquée par l’obsession idéologique des droites européennes pour l’équilibre budgétaire.  
L’Allemagne, qui n’ayant pas, quant à elle, désarmé son appareil productif entre 2008 et 2009, bénéficie déjà de la relance de la demande mondiale : le monde en 2012 voit une croissance supérieure à 3%, les États-Unis également. Elle s’en sortira donc bien mieux que les autres. 
Pour résumer, en 2009, les sociaux-démocrates perdent pied et Merkel se choisi un autre allié de coalition, le parti libéral (FDP). Mais la donne a changé depuis lors. Depuis 2013, la gauche est majoritaire au  Parlement allemand. Pourquoi gouverner à nouveau en coalition avec la CDU et la CSU ? 
A tout moment, le SPD aurait pu faire tomber Merkel et lancer une coalition à gauche. Mais l’appareil du parti ne peut envisager d’alliance avec les Linke. Par ailleurs, les relations sont difficiles entre Linkeet Verts, une partie des Verts étant issu des mouvements démocratiques en Allemagne de l’Est qui menèrent à la chute du mur, cependant qu'une partie de l’appareil des Linke à l’Est a été membre du parti communiste en RDA.... 
L'actuelle Grande coalition - l'actuelle en somme - aurait dû permettre à Sigmar Gabriel de se poser face à Merkel comme un candidat du renouveau. Mais il est limité par beaucoup de facteurs : son incohérence doctrinale – un coup à droite, un coup à gauche – sa dépendance politique aux lobbys industriels et agricoles de Basse-Saxe ( siège de Volkswagen, mais aussi des éleveurs porcins utilisant toutes les subtilités du droit européen, et notamment les travailleurs agricoles détachés de pays de l’Est, pour réduire leurs coûts de revient et tailler des croupières aux éleveurs bretons ) et ses compromissions avec la nouvelle extrême-droite allemande – il a participé en 2015 à un débat de Pegida – « Parti contre l’islamisation de l’Allemagne ». Sans parler de ses inconséquences sur la question des réfugiés : il a mené une campagne de presse humanitaire assez médiocre avec un acteur allemand, Till Schweiger, pour renverser l’opinion publique à l’été 2015, mettant suffisamment de pression sur Merkel pour que celle-ci annonce à la fin de l’été l’ouverture unilatérale des frontières, ce qui a provoqué une crise européenne inouïe. 
Enfin, comme ministre de l’Économie, il a défendu avec acharnement les accords de libre-échange TTIP et CETA, alors que le SPD avait passé des motions critiques vis-à-vis des deux accords, et que ce sujet a vu à deux reprises, pour un pays n’en ayant pas du tout la culture, des manifestations monstres se tenir en Allemagne contre ces accords.
N’oublions pas enfin qu’en juillet 2015, tant Steinmeier que Schulz ou Gabriel se sont montrés extrêmement virulents à l’égard de Tsipras et de la Grèce, ayant pu même apparaître parfois comme plus exigeants que la Troïka. 
Outre la division des gauche dont on vient de parler, le paysage politique allemand semble à son tour s'effriter, comme dans toute l'Europe d'ailleurs. Les partis de la coalition au pouvoir sont perte de vitesse et on assiste à une montée brutale de l'extrême-droite (AfD). A quoi cela tient-il ?
Le mode de scrutin allemand, qui requiert des partis un minimum de 5% des voix, a en partie dissimuler  l'effritement, mais il a en effet commencé dès les années 2000.  
En 1998, au moment de la victoire de Schröder, la situation politique est limpide: il y a la droite avec la CDU, le centre libéral avec le FDP, les écologistes, le SPD et la survivance du parti communiste est-allemand, le PDS, présent seulement dans les régions qui formaient la RDA. 
Ce sont les réformes Schröder qui, en divisant profondément le SPD, provoquent une scission et enclenchent le mouvement d’effritement, le PDS moribond s’alliant avec les syndicalistes et l’aile gauche “frondeuse” du SPD pour former les Linke, et devient un parti présent partout en Allemagne. Cet effritement, ce que j’appelle la « Weimarisation », se poursuit en touchant une partie de la population peu politisée, et tentée par des mouvements aux doctrines opposées, mais au discours antisystème. J’avais analysé les élections locales, municipales et régionales de 2011 : dans tous les cantons, on voyait un électorat antisystème se cristalliser à 3-5% des voix, hésitant selon les bureaux de vote entre le parti néo-nazi NPD et le parti libertarien « Les Pirates ». Ceux-ci réussirent d’ailleurs à entrer dans des parlements régionaux entre 2011 et 2012 (9% des voix à Berlin) ! 
Plus récemment, en 2016, l’analyse des mêmes scrutins montrent que partout où s’étaient cristallisé ces deux électorats ( qui s’excluaient : on était dans telle bourgade Pirate, dans telle autre côté NPD ) disparaissaient sous la vague du nouveau parti à la droite de Merkel, l’AfD (« Alternative pour l’Allemagne »). Cette dernière naît au départ, en 2012, d’une réflexion d’économistes ordolibéraux, qui jugent les politiques mises en place depuis 2009 pour résorber la crise financière, puis pour traiter la crise de la dette publique européenne, illégales et contraires aux intérêts nationaux allemands. 
Le scrutin de 2013 voit déjà cet émiettement tant à gauche qu’à droite, émiettement qui ne se traduit cependant pas en sièges au Bundestag du fait du seuil des 5% pour avoir des élus.  Les deux grand partis CDU (42%) et SPD (25%) rassemblent à eux deux 67% des voix (mais c’était 80% des voix en 1998).  Les Verts et les Linke se retrouvent seules oppositions parlementaires avec chacun un peu plus de 8% des voix. Les libéraux du FDP et l’AfD manquent de très peu l’entrée au Bundestag, le NPD et le Pirates ne rassemblent plus que 2% chacun. 
Mais depuis, l'AfD a changé de discours. Son souci principal n'est plus l'euro et le refus de « payer pour l'Europe du Sud », mais davantage l'immigration et la question de l'islam. Est-ce cela qui a permis sa progression rapide ? 
Oui, l’AfD s’est radicalisée, donnant un débouché politique aux mouvements Pegida.  Du coup l'effritement se poursuit. En 2014 aux élections européennes, la CDU et le SPD ne rassemblent plus que 62% des électeurs, et l’AfD monte à 7%. Elle obtient des élus. 
Les élections régionales confirment le phénomène, et la construction des majorités de coalition dans les Lander devient pittoresque, puisque trois partis sont désormais nécessaires à chaque fois. On parle ainsi de « Coalition Jamaïque » (Verts, Conservateurs, Libéraux), de « Feu de Circulation » (« Ampel », Verts, SPD, Libéraux), etc.Tout ceci rend difficile la respiration démocratique en mélangeant partis et doctrines, suivant des considérations tactiques. 
Un pronostic, du coup, pour les élection législatives de septembre 2017 ?
Les sondages du 11 février 2017 donnent ceci : CDU et SPD au coude à coude, à 31-33% chacun. Si la candidature Schulz, un homme inconnu du grand public allemand, provoque un sursaut d’intentions pour le SPD, cela démontre surtout l’appétit de nouveauté des allemands après 12 ans de Merkel. Le troisième parti en intention de vote est … l’AfD, à 10% ! Il est suivi des Verts et des Linke, chacun proche des 8%, et des libéraux qui reviendraient au Bundestag avec 6% des voix. 
L'émiettement pourrait donc être confirmé.  D’un parlement dominé par trois partis dans l’après-guerre, puis quatre avec les Verts à la fin des années 80, puis cinq avec l’ex parti communiste PDS, on pourrait voir, malgré le seuil de représentation à 5%, pas moins de six partis au Bundestag en 2017 ! Dans ces conditions, la seule coalition crédible et probable me semble rester une nouvelle Grande coalition. 

Saturday, 14 May 2016

Entendez vous la cavalcade s'approcher?

Commençons par un tour en Allemagne:
L'Allemagne mène sur son marché intérieur une politique de relance modérée par la consommation: création d'un salaire minimum, accords salariaux de branche augmentant fortement ceux ci, primes exceptionnelles.
Résultat: l'Allemagne a vu sa croissance bondir a +0,7%. Le chômage continue de se réduire.

La plupart des mesures de "l'agenda 2010" mises en œuvre par Schröder entre 2003 et 2005 ont été depuis de nouveau supprimées. Je renvoie à ce sujet à un excellent article, légèrement ironique, de Thomas Fricke dans le Spiegel.
Il ne reste qu'une mesure emblématique, la suppression des allocations chômage aux chômeurs de longue durée pour "ne pas financer oisiveté et paresse".
Résultat: le chômage de longue durée dans le chômage global reste exactement au même niveau qu'avant cette mesure: un chômeur de longue durée n'a pas choisi d'être chômeur, la preuve empirique de la stupidité théorique de Jean Tirole est apportée tous les jours.

Point interessant: si le ministre des finances allemand peut présenter des comptes publics en équilibre, ce n'est pas pour avoir réduit les dépenses, mais grâce à l'augmentation des recettes dues à la croissance et l'emploi.
Cette politique de relance par la consommation est soutenue par la politique de faible taux de la BCE, par la déflation importée due à la baisse des prix du pétrole et se conjugue pour favoriser une reprise forte de l'investissement des entreprises.

En France, on assiste à un frémissement de la conjoncture et une reprise de l'emploi.
On connais les composantes de cette croissance: c'est comme en Allemagne la reprise de la consommation qui mets en route un cercle vertueux, où les entreprises, surtout les PME, face aux carnets de commande qui se remplissent, reprennent investissement et embauche.
Tous les chiffres de 2015 montrent que c'est bien la reprise de la consommation qui préexiste au retour de la croissance, de l'investissement et de l'emploi.

Cette évolution positive a donc lieu en dépit des réformes et des mesures du gouvernement.
C'est comme pour Schröder: l'agenda 2010 a retardé la reprise allemande de 4 ans, et lorsque celle ci est venue, elle n'a profité qu'à une minorité d'allemands.
La classe moyenne n'en a pas profité, celle ci diminuant sur la période de près de 10 points. Aujourd'hui un allemand sur deux est de la classe moyenne. Ils étaient presque deux sur trois il y a 20 ans.
La pauvreté et la misère sociale ont augmenté.
Le taux de pauvreté en Allemagne est supérieur à la France, supérieur à il y a 15 ans.

C'est exactement ce que le gouvernement Valls prépare à la France: la liquidation de la classe moyenne et l'aggravation des inégalités, l'approfondissement de cette fracture sociale identifiée depuis 20 ans.
Les lois ANI, Macron et El Khomri auront un impact sur l'emploi: le même que celui des minijobs Schröder - depuis supprimés - ou celui des contrats zéro heure britanniques.
La reprise sera très inégalement distribuée, avec une majorité de citoyens perdant sécurité, niveau de prospérité et qualité de vie.

Alors, le gouvernement pourra dire à coups d'indice macro-économiques "la France va mieux" et en tirer tous les bénéfices à soi.
C'est le mensonge habituel du politicien péripatéticien.

La réalité est terrible.

Après avoir retardé le retour de la croissance, qui aurait pu venir très forte des 2013 et un plan de relance adéquat, par pur aveuglement idéologique, et gaspillé 43 milliards à l'impact faible sur l'investissement et l'emploi, ce gouvernement a créé les conditions pour une prospérité pour les plus riches, socialement, culturellement, en capital financier, et pour une société de plus en plus violente, impitoyable et inhumaine.

Tant en Grande Bretagne, en Hollande, en Allemagne, dans les pays nordiques de la flexisecurite, en Autriche où le chômage est à 5% mais le taux de pauvreté est depuis dix ans stable, malgré croissance et plein emploi, à un autrichien sur 8, on voit le résultat de ces sociétés violentes: la progression des partis d'extrême droite.

La France n'est pas à la traîne de l'Europe. Elle fut, avec Chirac-Juppe, puis avec Chirac et Sarkozy, précurseur dans ce mouvement. On peut trouver des 1993 les traces de cette marche forcée.
Il y eut une parenthèse de trois ans, les trois premières du gouvernement Jospin.
Elles coïncident, ces années Jospin, avec les années de plus fortes croissance et de plus forte baisse du chômage des dernières 25 années. Mais cette parenthèse, où des erreurs furent commises, certes, est un grand tabou.

La France est précurseur tant dans le décrochement progressif de la classe moyenne que dans la montée de l'extrême droite. Car le corps social français est sensible, et réagit vite et fort, là où des sociétés plus consensuelles ont absorbé bien des chocs avant de sombrer dans le désespoir brun.

La politique actuelle, en accentuant cette violence sociale et cette inégalité dans le partage de la prospérité, accentue les raisons de voter Front National.

L'Assemblee Nationale de 2017 pourrait bien ressembler aux Conseils Régionaux du Nord et du Sud-Est.
Ce sera le bilan politique terrible de ce gouvernement.

Bien plus terrible cependant sera son héritage social. Le gouvernement Valls prépare la surmortalité des couches populaires, les angoisses et le sur-suicide, le recul de la santé publique face aux maladies de la pauvreté.

Hollande, Valls, Macron, Sapin, les quatre cavaliers de l'apocalypse sociale.

Monday, 2 November 2015

Le hasard moral de l'Allemagne, bénéficiaire de la crise européenne

Une intéressante analyse trouvée dans le Süddeutschen Zeitung : les crises financières puis dans la zone euro la crise grecque, en effrayant les investisseurs, les a amené à acheter de la dette publique allemande, faisant chuter son taux d'intérêt, économisant sur la période 200 milliards d'intérêts. Le budget équilibré de Schäuble n'aurait pas été possible d'après cet économiste allemand sans crise de la dette publique en zone Euro.
Mais un deuxième phénomène s'est aussi produit en Allemagne qui aide à comprendre à la fois la faiblesse de la demande intérieure entre 2001 et 2009 et la force financière de l'Allemagne depuis 2007: la réunification a été une période de surendettement privé, atteignant trois fois le PIB, quatre fois la dette publique, entre 1990 et 1998.
De 2001 à aujourd'hui, mais surtout depuis la crise et les politiques monétaires extensives à taux bas, l'économie allemande s'est desendettée dans son ensemble. Les ménages n'ont pas emprunté pour consommer, mais ont épargné pour rembourser leurs crédits, réduisant la demande allemande, et aussi les importations.
Mes remarques :
Alors le petit retraité, l'épargnant de livret A lui a perdu, la rémunération de son épargne étant inférieure à l'inflation, et ce sont les perdants de cette séquence que l'on retrouve à l'AfD ou dans les cortèges sinistres de Pegida.


L'Allemagne est la grande bénéficiaire de la crise, et n'a intérêt ni à la solidarité européenne ni à la résolution de la crise.
Qu'elle demande maintenant, sur la question des réfugiés, et à juste titre, solidarité et ouverture, apparaît à nombre de ses partenaires européens comme hypocrite ou contradictoire. En dehors de la zone Euro notamment les États en font à leur idée.
L'Allemagne de Merkel gagnerait à comprendre qu'un projet européen ne peut se construire sur les intérêts d'un seul groupe de pays, et s'interroger sur les valeurs et les principes qu'elle défends pour ce projet européen.


Le traitement de la crise grecque, et le refus absolu opposé notamment aux demandes de Papandreou en 2010, de Samaras en Octobre 2014 ou de Tsipras dés février 2015, de couper la dette publique grecque, de ne pas refinancer par un  endettement croissant, mais d'investir dans le futur, était fondé théoriquement par l'idée de hasard moral: en permettant à un pays de s'Enfuir avec de mauvaises pratiques comptables et budgétaires, on créerait une incitation pour tous les pays à mal se conduire.
Pourtant, entre la petite Gréce et sa dette publique représentant 2% de la dette publique européenne, et l'Allemagne, le risque de hasard moral est du côtè du plus gros!
Finalement, c'est l'irruption dramatique et meurtrière de l'histoire, qui ne supporte pas de traitement juridico-comptable, mais de la politique, qui peut-être forcera l'Allemagne à comprendre être elle-même, pour l'ensemble de l'Europe, celle qui se conduit mal.
Faire le choix de la solidarité, c'est un choix politique, pas un impératif juridique. C'est le seul choix de l'Allemagne si elle souihaite un avenir à l'Europe Unie.

http://www.sueddeutsche.de/wirtschaft/frickes-welt-sanieren-ohne-luftballons-1.2713691