Sunday, 24 September 2017

Un nouveau départ

La polémique récente sur les propos de Jean-Luc Melenchon m'ont inspiré quelques réflexions.

"La rue" renvoie dans notre histoire aux insurrections de la Commune de Paris, depuis le 10 Août 1792 au moins.
C'est donc bien l'insurrection d'août 1944 et avec elle toutes les résistances à l'occupation qui était évoqué.

La polémique vise à taire la réalité du succès, et le rassemblement des gauches d'opposition en tête de cortège.

J'ai voté JLM pour tenter d'éviter Le Pen au second tour. J'ai voté FI au premier tour des législatives face à un candidat PS plus macroniste encore que le vainqueur du Modem.

Mais jusqu'à dix jours du premier tour de la présidentielle je souhaitais voter nul. Je suis critique de la bobinette Melenchon, comme de tous les mouvements à Tribun. Cesar était un Tribun, Louis-Napoleon Bonaparte aussi, Boulanger aussi.

Il y a cependant des réalités objectives à prendre en compte.
Depuis le ralliement des social-démocraties européennes aux règles et normes politiques et sociales des bourgeoisies heureuses de la mondialisation et l'effondrement de la critique radicale capitaliste dans les décombres des dictatures soviétiques, le seul vote de contestation laissé aux salariés et employés, aux chômeurs et aux pauvres, c'est le vote d'extrême-droite.

Partout on observe - en France dès les années 80 et le succès de Fabius, la rupture idéologique se faisant non pas sur la question economique, mais sur l'école, avec la capitulation mitterrandienne devant la rue réactionnaire - la perte du total gauche dans les milieux populaires et moyens, et l'apparition de partis identitaires, populistes, nationalistes, reprenant à leur compte l'interventionnisme de l'Etat et le protectionnisme.
L'Allemagne fut peut-être le pays à résister le plus longtemps, ses deux histoires - la dictature nazie qu'elle se choisit librement, la dictature communiste que les 4 alliés imposèrent à sa partie Est - l'empêchant de basculer avant la disparition biologique de ceux conscients des années 30.
Ce dimanche, le total gauche approchera les 40%, l'extrême droite les 12%.
Entre 1998 et 2005, en 3 élections, le total gauche était de 52%.
D'où viennent ces 12%? Qui les a perdu ?

La reconquête de l'électorat populaire est l'enjeu majeur de la gauche, et la seule chance de survie de la démocratie à moyen terme.
Partout les autoritarismes progressent. Partout les menaces de guerre augmentent. Partout les contradictions matérielles menacent l'Union dans son fondement même.
Il y a la Pologne, la Hongrie, la Bulgarie s'enfonçant dans la corruption mafieuse, la Marche vers le pouvoir du FPÖ autrichien, le chaos absolu du Brexit, création des conservateurs britanniques.
L'Espagne est au bord d'une situation à l'ukrainienne.
Heureusement, ni l'Allemagne ni la Russie n'y jouent des jeux dangereux, car il y aurait déjà des morts et des lignes de Front.

Cela montre à quelle vitesse des situations stables, au cœur même de l'Europe, peuvent basculer.

Il y a des réalités objectives à une reconquête politique. Ce n'est pas avec un agenda "SOS racisme" - l'association qui m'amena à m'engager à 14 ans, m'inspira la création d'une section FidL dans mon lycée - qui ramènera les classes populaires à gauche.
Il y a un travail formidable pour remettre les questions sociales et celles de la production et distribution des richesses au cœur des motivations et des combats.

Jaures, dans un discours sur l'Internationalisme de 1908, mais aussi sur la méthode, sur l'articulation de l'action Politique, forcément exposée aux tentations de compromis voire de compromissions, et l'action syndicale, chargée, dans la rue, de rappeler la représentation politique du mouvement social à sa mission historique, bref, sur le socialisme démocratique jauressien, précise également la place du patriotisme. J'ai publié hier sur mon fil 5 copies d'écran de ce discours, disponible sur Gallica en accès libre.
Il développera cette réflexion dans l'Armée Nouvelle (1911) dont je reprends deux extraits:
"Quand on dit que la révolution sociale et internationale supprime les patries, que veut-on dire ? Prétend-on que la transformation d’une société doit s’accomplir de dehors et par une violence extérieure? Ce serait la négation de toute la pensée socialiste, qui affirme qu’une société nouvelle ne peut surgir que si les éléments en ont été déjà préparés dans la société présente. Dès lors, l’action révolutionnaire, internationale, universelle, portera nécessairement la marque de toutes les réalités nationales. Elle aura à combattre dans chaque pays des difficultés particulières, elle aura en chaque pays, pour combattre ces difficultés, des ressources particulières, les forces propres de l’histoire nationale, du génie national. L’heure est passée où les utopistes considéraient le communisme comme une plante artificielle qu’on pouvait faire fleurir à volonté, sous un climat choisi par un chef de secte. Il n’y a plus d’Icaries. Le socialisme ne se sépare plus de la vie, il ne se sépare plus de la nation. Il ne déserte pas la patrie; il se sert de la patrie elle-même pour la transformer et pour l’agrandir. L’internationalisme abstrait et anarchisant qui ferait fi des conditions de lutte, d’action, d’évolution de chaque groupement historique ne serait qu’une Icarie, plus factice encore que l’autre et plus démodée."
 Et aussi:
"Ce n’est donc que par la libre fédération de nations autonomes répudiant les entreprises de la force et se soumettant à des règles de droit, que peut être réalisée l’unité humaine. Mais alors ce n’est pas la suppression des patries, c’en est l’ennoblissement. Elles sont élevées à l’humanité sans rien perdre de leur indépendance, de leur originalité, de la liberté de leur génie. Quand un syndicaliste révolutionnaire s’écrie au récent congrès de Toulouse : A bas les patries! Vive la patrie universelle! il n’appelle pas de ses vœux la disparition, l’extinction des patries dans une médiocrité immense, où les caractères et les esprits perdraient leur relief et leur couleur. Encore moins appelle-t-il de ses vœux l’absorption des patries dans une énorme servitude, la domestication de toutes les patries par la patrie la plus brutale, et l’unification humaine par l’unité d’un militarisme colossal. En criant : A bas les patries ! il crie : A bas l’égoïsme et l’antagonisme des patries ! A bas les préjugés chauvins et les haines aveugles ! A bas les guerres fratricides ! A bas les patries d’oppression et de destruction ! Il appelle à plein cœur l’universelle patrie des travailleurs libres, des nations indépendantes et amies."

Jaures ne fut jamais sur la ligne de Herve.

Melenchon n'est certainement pas Jaures. D'ailleurs, il ne s'agit pas ici de comparaison de personnes, mais de rappels de débats de doctrine et de tactique fondamentaux. On le sait, dans les rapports avec le syndicalisme, dans le combat parlementaire depuis l'opposition, je suis plus proche du Guesde de 1892-1896 que de Jaures. Je crois à la nécessaire unité syndicale - toutes ces confédérations vaines et divisées du paysage syndical français sont des parodies de syndicalisme - et à la nécessaire relation intime du syndicat et de la représentation politique du mouvement social.
Mais ici, Jaures et Melenchon ont un point commun : ils savent que la transformation sociale n'est possible qu'en reconnaissant le patriotisme populaire.

Enfin ! La Commune de Paris de 1792 qui mets bas la royauté se révolte contre la trahison de ses élites face à la guerre étrangère!
Enfin! La Commune de Paris mets à bas l'Empire en septembre 1870 et tente encore de mettre bas la bourgeoisie en octobre, en mars 1871, par refus de la trahison de la Patrie!
La lutte sociale, l'émancipation économique et civique sont indissociables de la Republique, et de la Patrie.

Cette dimension est une réalité objective. Et 40 ans d'engraissement du FN sur cette réalité là ne permets pas de passer d'un vote à l'autre sans sas de reformulation et de reconstruction.

Le rassemblement du 23 septembre 2017 à Paris a vu l'unité de la gauche d'opposition, de l'aile gauche du PS représentée par Emmanuel Maurel au Parti Communiste avec Pierre Laurent, des mouvements de l'écologie politique comme Sergio Coronado aux mouvements de la contestation sociale comme Ruffin, des anciens du Parti de Gauche aux anciens du PS comme Hamon, des groupes de la France Insoumise comme Liêm Hoang Ngoc à son Tribun maître des clivages, Melenchon.

Ce rassemblement, c'est 25% des électeurs du premier tour de la présidentielle, c'est 34 députés.

C'est à la fois la première manifestation vers une forme de convergence politique, et aussi, le point de départ depuis une position de faiblesse.
Le total de ces voix, c'est moins que Le Pen au second tour de la présidentielle.
Le premier des enjeux, c'est reconquérir par l'ensemble des moyens possible une Stratégie,  idéologique et tactique, pour détruire les bases électorales du FN, et construire une nouvelle Alliance.

Cela explique le positionnement controversé de la France Insoumise, son "ni Droite ni gauche" et son nationalisme.
Ce n'est pas mon horizon, mais j'en reconnais la nécessité, car je suis conscient des réalités objectives.

Il y a enfin la convergence internationale.
Soyons lucide : aujourd'hui, quelque soient leur numéros, toutes les internationales sont des coquilles vides, stériles, vaines et inutiles, pire, ce sont des obstacles à construire ce que le monde réclame.

J'en parlais hier avec un ami anglais, Peter Kenyon, la réalité du Corbynisme devrait donner au Labour dans cette couleur un rôle particulier, une responsabilité particulière.
Oh, il y a encore bien des imbéciles libéraux dans ce parti, l'article que vient de publier l'étoile montante du blairisme, Chuka Umuna, déplaçant le débat des questions sociales et de l'échec des conservateurs dans leur propre création brexitienne vers un débat interne au Labour sur la nécessité de s'asseoir sur le,resultat du référendum, le démontré amplement. Chuka ne veut pas sérieusement annuler le Brexit. Il veut, comme Boris Johnson, instrumentaliser le Brexit dans des querelles de pouvoir internes au Labour. C'est, comme Boris Johnson, stupide.

Mais cela montre à quel point nous avons besoin d'un nouveau forum, où Labour Corbyniste, les gauches d'opposition française, Linke et ce qui sortira de la crise existentielle du SPD qui s'ouvrira ce soir, Podemos et Sanchez, surtout face aux agressions inouïes contre la paix intérieure de Rajoy, les partis composants le compromis majoritaire portugais, peuvent échanger et construire des propositions communes.

Je conclue avec Jaures :
"c’est que la volonté irréductible de l’Internationale est qu’aucune patrie n’ait à souffrir dans son autonomie. Arracher les patries aux maquignons de la patrie, aux castes de militarisme et aux bandes de finance, permettre à toutes les nations le développement indéfini de la démocratie et de la paix, ce n’est pas seulement servir l’Internationale et le prolétariat universel, par qui l’humanité à peine ébauchée se réalisera, c’est servir la patrie elle-même. Internationale et patrie sont désormais liées. C’est dans l’Internationale que l’indépendance des nations a sa plus haute garantie; c’est dans les nations indépendantes que l’Internationale a ses organes les plus puissants et les plus nobles. On pourrait presque dire : un peu d’internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup d’internationalisme y ramène. Un peu de patriotisme éloigne de l’Internationale ; beaucoup de patriotisme y ramène."